VIIe – VIe siècle av. J.-C. | Sappho | Ode à Aphrodite

 

Traduction de Marguerite Yourcenar :

Aphrodite au char blanc tiré par des colombes,
Ô terrible, ô rusée, ô tourment des humains,
Empêche que mon âme et mon corps ne succombent ;
Je tends vers toi mes mains.

Fais halte en plein espace et dis : « Qui donc est-elle ?
Je prendrai ton parti ; son cœur sera brisé.
Elle courra vers toi, et tu la verras telle
Qu’un jouet méprisé.

À son tour de souffrir, à son tour de connaître
Les pleurs, l’attente vaine, et les tristes aveux,
Et de t’aimer, Sappho, malgré soi, et peut-être
Plus que tu ne le veux… »

Cité dans Denys d’Halicarnasse, De la composition littéraire, 23.

Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Gallimard, 1979, p. 80.

Traduction de Renée Vivien :

Toi dont le trône est d’arc-en-ciel, immortelle Aphrodita, fille de Zeus, tisseuse de ruses, je te supplie de ne point dompter mon âme, ô Vénérable, par les angoisses et les détresses. Mais viens, si jamais, et plus d’une fois, entendant ma voix, tu l’as écoutée, et, quittant la maison de ton père, tu es venue, ayant attelé ton char d’or. Et c’était de beaux passereaux rapides qui te conduisaient. Autour de la terre sombre ils battaient des ailes, descendus du ciel à travers l’éther. Ils arrivèrent aussitôt, et toi, ô Bienheureuse, ayant souri de ton visage immortel, tu me demandas ce qui m’était advenu, et quelle faveur j’implorais, et ce que je désirais le plus dans mon âme insensée. « Quelle Persuasion veux-tu donc attirer vers ton amour ? Qui te traite injustement, Psappha ? Car celle qui te fuit promptement te poursuivra, celle qui refuse tes présents t’en offrira, celle qui ne t’aime pas t’aimera promptement et même malgré elle. » Viens vers moi encore maintenant, et délivre-moi des cruels soucis, et tout ce que mon cœur veut accomplir, accomplis-le, et sois Toi-Même mon alliée.

Renée Vivien, Sapho, 1903.

Traduction d’Yves Battistini :

Déesse au trône diapré, immortelle Aphrodite,
Fille de Zeus, tisseuse de ruses, je te supplie :
ni tourments nauséeux, ni fléau de l’angoisse, pour me dompter,
Souveraine, le cœur.

Viens à moi plutôt, si jamais autrefois,
quand je criais de loin vers toi, tu as entendu ma voix,
si tu m’as exaucée, quittant le palais de ton père
pour venir jusqu’à moi, dans l’or

de ton char attelé : de beaux oiseaux t’entraînaient,
des passereaux rapides, au-dessus de la terre bleu et noir,
du battement pressé de leurs ailes, depuis l’espace ouranien, au travers de l’éther,
et soudain ils furent là. Et toi, ô Bienheureuse,
un sourire éclairait ton immortel visage
quand tu me demandais quel tourment de nouveau était le mien
et pourquoi de nouveau je criais vers toi,

et quel désir en moi devait être assouvi
en mon cœur affolé : « Quelle fille de nouveau dois-je persuader
de te séduire à elle en son spasme d’amour ? Quelle amie,
ô Sapphô, te porte préjudice ?

Car si elle fuit, bientôt elle sera chasseresse.
Si elle refuse les cadeaux, demain elle en offrira.
Si elle n’est pas amoureuse, bientôt elle sera amoureuse,
même contre son gré. »

Viens à moi, et maintenant encore ! De mon cruel souci
délivre-moi ! Tous les désirs de mon cœur passionné,
accomplis-le ! Et toi-même,
sois combattante à mes côtés !

Sapphô, Odes et fragments, traduction et présentation d’Yves Battistini, Gallimard, 2005, p. 25-26.

Traduction d’Ernest Falconnet :

Immortelle Vénus, fille de Jupiter, toi qui sièges sur un trône brillant et qui sais habilement disposer les ruses de l’amour, je t’en conjure, n’accable point mon âme sous le poids des chagrins et de la douleur. Mais plutôt viens à ma prière comme tu vins autrefois, quittant le palais de ton père et descendant sur ton char doré. Tes charmans passereaux t’amenaient de l’Olympe à travers les airs qu’ils agitaient de leurs ailes rapides. Dès qu’ils furent arrivés, ô déesse ! tu me souris de ta bouche divine ; tu me demandas pourquoi je t’appelais ; quels tourmens ressentait mon cœur, en quels nouveaux désirs il s’égarait ; qui je voulais enchaîner dans les liens d’un nouvel amour : « Qui oserait te faire injure, ô Sappho ! S’il te fuit aujourd’hui, bientôt il te recherchera ; s’il refuse aujourd’hui tes dons, bientôt il t’en offrira lui-même ; s’il ne t’aime pas aujourd’hui, il t’aimera bientôt lors même que tu ne le voudrais plus. »

Ô, viens, viens donc aujourd’hui, déesse, me délivrer de mes cruels tourmens ! Rends-toi aux désirs de mon cœur ! Ne me refuse pas ton secours tout-puissant !

Ernest Falconnet, Les petits poèmes grecs, Paris, 1838.

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