1834 | Tahtawi, L’Or de Paris. « Les Français excellent dans les sciences pratiques… »

[Mohammed Ali], qui va régner plus de quarante ans sur l’Égypte, se présente volontiers aux Européens comme le continuateur de l’œuvre de « civilisation » entamée par Bonaparte. Il envoie en 1826 en France une mission de quarante-quatre boursiers de sa cour, flanqués d’un imam formé à Al-Azhar (la « Sorbonne de l’Islam » selon Bonaparte). Cet imam, Rifaa Tahtawi, loin d’être un sourcilleux gardien de l’ordre moral, se plonge avec passion dans la « civilisation » française durant cinq longues années.
L’œuvre qu’il en rapporte, L’Or de Paris, publiée en arabe en 1834 et en turc cinq ans plus tard, s’ouvre par un engagement à « exhorter les foyers de l’islam à rechercher les sciences étrangères, les arts et les métiers, car il est établi et notoire que tout cela existe à l’état de perfection chez les Francs. Or c’est la vérité seule qui doit être suivie. Par Allah, durant mon séjour dans ce pays, à le voir jouir de toutes ces choses tandis que les royaumes de l’islam en sont dépourvus, j’éprouvais un regret perpétuel. »

Jean-Pierre Filiu, Les Arabes, leur destin et le nôtre, La Découverte, Paris, 2015, pp. 24-25

Les Français excellent dans les sciences pratiques, et possèdent également à fond les sciences spéculatives. Seulement ils ont certaines croyances philosophiques que la raison d’autres peuples ne saurait admettre. Mais ils les soutiennent si bien et les parent de couleurs si spécieuses, qu’elles semblent fondées sur la réalité. Dans l’astronomie, par exemple, ils sont fort savants, et le secours des instruments qu’ils ont inventés les a rendus supérieurs aux anciens. Mais ils ont mêlé à cette science quelques idées hérétiques contraires aux livres saints, comme l’assertion du mouvement circulaire de la terre, etc. Ils appuient ces opinions de preuves qu’il est difficile de réfuter. Je citerai plusieurs de leurs paradoxes, et je les signalerai au lecteur dans l’occasion. Je dirai seulement ici que les ouvrages scientifiques sont remplis de paradoxes de ce genre. Le Musulman, qui veut étudier les livres français, doit donc s’attacher fortement au texte du Coran et aux traditions religieuses, pour se garantir de la séduction et ne point laisser ébranler sa croyance. Sans cette précaution, il s’expose à perdre sa foi.
Les Français ont en général une teinture de toutes les connaissances. Leur goût naturel pour apprendre est favorisé par la clarté et la facilité de leur langue. En France, lorsqu’on dit d’un homme, C’est un savant, cela ne signifie pas, comme chez les Musulmans, qu’il est instruit dans sa religion, mais qu’il s’est distingué dans une science quelconque. Il ne suffit pas non plus parmi les Français, d’être professeur, ou auteur d’un livre, pour être qualifié de savant. Ce titre ne s’acquiert chez eux que par des connaissances profondes en plusieurs genres, et souvent en outre dans une spécialité particulière.

Armand Pierre Caussin de Perceval, « Relation d’un voyage en France, par le cheikh Réfaa », Nouveau journal asiatique, vol. 11,‎ 1833, p. 222-251

Un savant européen a prétendu que l’assertion du mouvement circulaire de la terre et de sa forme arrondie n’est point contraire aux saintes écritures. En effet, dit-il, les livres saints, parlant de ces choses dans des passages où il s’agissait de donner aux hommes une instruction morale, ont employé des termes conformes à l’apparence des phénomènes et non à l’exactitude scientifique. Ainsi il est dit dans l’écriture que Dieu arrêta le soleil ; cela signifie qu’il retarda le moment où cet astre disparaît aux yeux, effet produit en réalité par la suspension du mouvement de la terre. Le livre saint s’exprime comme si le soleil lui-même eût été arrêté, parce que c’est le soleil qui semble à l’œil avoir un mouvement.

Armand Pierre Caussin de Perceval, « Relation d’un voyage en France, par le cheikh Réfaa », Nouveau journal asiatique, vol. 11,‎ 1833, p. 222-251

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